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samedi 10 mars 2018

Anne SIMONIN « Le droit de désobéissance – Les Éditions de Minuit en guerre d'Algérie »


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Ce court essai de 2012 pourrait s'appeler « Synthèse de la vie des ÉDITIONS DE MINUIT entre 1957 et 1962 », c'est-à-dire en pleine tourmente de la guerre d'Algérie. Pardon, des « événements ». Les ÉDITIONS DE MINUIT étaient nées d'une autre tourmente : celle de l'occupation en 1941, fondées clandestinement par Pierre De LESCURE et un certain Jean BRULLER, dont le pseudo VERCORS fera son chemin, c'est en effet sous ce nom d'auteur que sera publié sous le manteau le premier livre des ÉDITIONS DE MINUIT, « Le silence de la mer », déjà un chef d’œuvre.
Comme la maison d'édition avait été militante et résistante durant la seconde guerre mondiale, elle l'est à nouveau en pleine guerre d'Algérie. Entre 1957 et 1962, elle publie pas moins de 23 livres sur le thème de cette guerre (dont 11 sur la torture), représentant près de 10 % de la publication française totale forte de 253 livres sur le même sujet entre 1955 et 1962. 9 de ces 23 bouquins sont saisis par les pouvoirs publics français pour un total en France de 19 interdictions, soit 50 % du nombre de saisies du pays (les 50 % restants seront à reporter au compte des ÉDITIONS MASPERO).
Dans cet ouvrage historico-politique, Anne SIMONIN, par ailleurs déjà coupable d’un gros volume sur les ÉDITIONS DE MINUIT en 1994, va nous éclairer sur le destin de certains de ces fameux livres interdits par le pouvoir : « Le déserteur » de MAURIENNE (pseudo de Jean-Louis HURST) quatrième livre de l'éditeur interdit, il est saisi le 20 avril 1960, passe en procès le 6 décembre 1961 (ce sera le seul procès des ÉDITIONS DE MINUIT suite à une saisie faisant référence à la guerre d’Algérie) pour « incitation de militaires à la désobéissance ». C'est le lendemain que l’appartement de Jérôme LINDON, alors directeur des ÉDITIONS DE MINUIT (il a succédé à VERCORS), est plastiqué par l'O.A.S. Le 9 décembre c'est directement la maison d'édition qui est victime d'un incendie volontaire. « La question » d'Henri ALLEG (sur la torture en Algérie, livre de référence !), l'avait devancé pour la saisie (8 000 exemplaires d'un coup !) en mars 1958 pour « atteinte au moral de l'armée ». L'ouvrage collectif « La gangrène » (recueil de cinq plaintes d'étudiants algériens) le sera en juin 1959 pour « diffamation de la police ».
La ligne éditoriale est alors celle du refus de la guerre : « Poursuivre la guerre en Algérie revient à légaliser la torture ». « La gangrène » est le premier livre saisi par la Vème République française naissante (« La question », premier ouvrage interdit de l'éditeur, le fut durant la IVème République). Ironie de l'Histoire : André MALRAUX, contre l’interdiction de « La question » d’ALLEG sous la IVème République, vient d'être bombardé ministre des affaires culturelles de la Vème et sera à la manœuvre contre « La gangrène », opération éclair, livre saisi le lendemain même de sa sortie publique. Autres temps, autres mœurs. La Vème n'est pas la IVème.
Les autorités françaises cherchent-elles à provoquer la faillite d'un éditeur indépendant devenu gênant ? En effet, les ÉDITIONS DE MINUIT s'endettent et ne sont pas loin de mettre la clé sous la porte. C'est l'ouvrage « Le dictionnaire historique des rues de Paris » de Jacques HILLAIRET qui va plus tard remplumer la maison en 1963, après les 9 saisies dues à cette guerre sans nom, dont justement le « Notre guerre » de Francis JEANSON pour « incitation de militaires à la désobéissance, provocation à l'insoumission et désertion ». Tous ces livres saisis ont pour thème la désertion, l’anticolonialisme, la torture en Algérie.
La dernière interdiction de cette période aura lieu à deux reprises, en novembre et décembre 1961 (quelques mois avant le cessez-le-feu) pour « Saint Michel et le dragon » de Pierre LEULIETTE. Les paradoxes s'enchaînent : « Le front » de Robert DAVEZIES, bien que faisant l'objet d'une atteinte à la sûreté de l'État, n'est pas saisi. LINDON, directeur de la boutique, et VERCORS, cofondateur et ancien directeur de la maison d'édition, se rentrent dans le chou alors que la marque des ÉDITIONS DE MINUIT doit être renouvelée en 1959, 15 ans après sa naissance officielle en 1944. Là aussi autres temps autres mœurs.
Pour imprimer le fameux « Manifeste des 121 » en 1961, LINDON va prendre contact avec un imprimeur anarchiste pour une publication clandestine, qui par ailleurs ne sortira même pas aux ÉDITIONS DE MINUIT mais chez MASPERO. Chez « MINUIT » il y a les militants de l'ombre parmi lesquels l'indéfectible Pierre VIDAL-NAQUET, sorte de bras droit de LINDON. Germaine TILLION se démène aussi, même si elle ne représente pas précisément la ligne éditoriale de « MINUIT ».
Ce bouquin d'Anne SIMONIN est truffé de références bibliographiques (« au secours, encore plein de livres qui me font envie ! »), d'anecdotes, de rappels. Parmi ceux-ci, qui se souvient aujourd'hui que « Nuits noires » de John STEINBECK est sorti en 1948 aux ÉDITIONS DE MINUIT, loin de l’image d'un éditeur franco-français ? Pour tout admirateur des ÉDITIONS DE MINUIT, ce petit livre est essentiel. De plus, et vous n'en croirez pas vos yeux, il est GRATUIT ! En effet, il est téléchargeable en format PDF sur le site même de l'éditeur, et là je dis chapeau, et j'ajoute que vous n'aurez aucune excuse pour ne pas avoir lu cet essai. Pour le site de la maison d'édition c'est ici :
Pour tomber directement sur le livre, c'est là et ça vaut bien ces quelques quarts d'heures à y consacrer :

(Warren Bismuth)

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