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vendredi 15 décembre 2017

Gergana DIMITROVA & Zdrava KAMENOVA « Protohérissé (BP : Unabomber) »


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Derrière ce titre énigmatique qui sera par ailleurs dévoilé en épilogue de cet ouvrage, se cache un véritable O.T.N.I. (Objet Théâtral Non Identifiable). La base : saccage de la nature, hystérie d’une technologie polluante de moins en moins contrôlable, un humain devenant victime de sa propre invention tel un professeur Frankenstein moderne. Cette pièce de théâtre est une mosaïque se découpant en monologues, narrations, dialogues, entrecoupés de citations d’un manifeste, de données de géolocalisation, le tout dans une polyphonie assez vertigineuse. Il y a le monologue de l’échidné, un ancestral mammifère en voie d’extinction qui recherche l’âme sœur pour ne pas disparaître de la surface de la terre (ses réflexions et sa progression sont en italiques), la narration suit un homme qui s’apprête à commettre un attentat, les dialogues sont entretenus entre la pauvre femme de cet homme et un policier, puis un scientifique répondant aux questions d’un journaliste, ce même scientifique (non fictif !) terminant enfin un abscons projet d’ascenseur cosmique (bien réel aussi !). Et puis il y a ce satellite, fleuron du progrès scientifique, qui espionne tous les faits et gestes depuis l’espace, notamment ceux de l’homme qui s’apprête à commettre un attentat (gros plan sur l’échidné). Bien sûr, mais l’homme, le terroriste, me direz-vous ? Il s’agit de Ted KACZYNSKI, personnage sulfureux et atypique des années 1990. Il est vrai qu’il a fait carrière sous un pseudonyme moins anonyme : UNABOMBER, chercheur surdoué qui va finir par s’isoler dans les montagnes du Montana et perpétrer pas mal d’attentats contre la cause qu’il a pourtant défendue durant des années : le progrès, revendiquant dorénavant un retour au primitivisme. Dans cette pièce, plusieurs citations d’UNABOMBER. Toutes sont extraites de son manifeste « La société industrielle et son avenir » (les auteures prennent toutefois la liberté de lui attribuer une femme et un enfant pour le confort de l’histoire). Toutes les micro-scènes décrites ci-dessus sont imbriquées de manière cohérente et talentueuse, pour éveiller les (in) consciences. Et comme tout semblait trop simple jusque là, il va vous falloir ajouter un soupçon de coordonnées géographiques (la géolocalisation évoquée plus haut) indiquées ça et là au fil de la pièce. Je vous défie de ne pas chercher à tapoter sur votre ordinateur afin de connaître le lieu exact où se situe l’action en question. Un théâtre en quelque sorte interactif pour un lectorat participatif. Gergana DIMITROVA et Zdrava KAMENOVA sont deux femmes bulgares au solide C.V. en matière de théâtre, leur pièce n’est pas qu’originale, elle est ambitieuse quoique très courte. Un théâtre résolument militant, « éco-terroriste », balancé dans notre tronche tel un lanceur d’alerte, le porte-parole d’une planète à l’agonie mise à genoux par la cupidité humaine, cette pièce est comme une énergie du désespoir, celle même qui a fait se lever UNABOMBER contre la marchandisation de la terre. Mais attention, les deux auteures n’oublient pas l’humour, elles l’utilisent scrupuleusement et à bon escient, rendant cette pièce encore plus déconcertante et incisive. C’est sorti en 2015 aux Éditions L’ESPACE D’UN INSTANT. J’en profite pour remercier vivement l’éditeur, de l’intérêt qu’il porte à mon modeste travail, et un immense merci pour l’envoi de toutes ces nourritures célestes.


(Warren Bismuth)

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