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samedi 28 octobre 2017

Ferdinand VON SCHIRACH « Terreur »


Terreur - Ferdinand von Schirach - Babelio

Un sujet qui rend fou. Ou hystérique. Voire les deux. Un procès fictif,  exposé comme un problème de mathématiques à résoudre à partir d'un fait divers tragique. Voici les données : un avion de ligne avec à son bord 164 passagers est détourné par un pirate de l'air. Il se dirige sur le stade de Munich, Allemagne, dans lequel 70 000 personnes sont entassées pour un match. Le terroriste projette de faire écraser l'avion sur le stade. Un autre avion, de l'armée allemande cette fois-ci, le suit. Dilemme : le pilote de l'armée doit-il laisser l'avion de ligne accomplir sa sinistre besogne au risque de déplorer 70 000 morts ou doit-il l'abattre pour sacrifier « seulement » 164 humains afin de sauver la vie des 70 000 autres ? Il choisit la seconde solution. Son procès commence sous forme de pièce de théâtre. Le pilote va-t-il être condamné ou au contraire élevé au rang de héros national ? Cette pièce est totalement déroutante. VON SCHIRACH qui, ne l'oublions pas, est avocat et connaît de fait très bien son sujet, nous pousse dans nos derniers retranchements à chaque page, la torture mentale est permanente dans cette odeur toute kafkaïenne pour le lecteur dont les certitudes sont bousculées à tout bout de champ. VON SCHIRACH nous OBLIGE à juger, à douter, à remettre en question notre premier jugement, à peser le pour, le contre, à douter encore et toujours, à redistribuer les cartes incessamment, c'est un vrai casse-tête chinois, en beaucoup plus obsédant. Pour nous vriller un peu plus le cervelet, il prend des exemples précis de vrais faits divers sur la même thématique, des exemples implacables qui désorientent et asphyxient par les décisions de justice mais pas seulement. Revenons à Munich (pas en avion s'il vous plaît) : comment juger cette affaire sur les seules bases de la Constitution ? Doit-on prendre en compte les émotions du pilote de l'armée au moment où il va envoyer son missile ? Ces émotions peuvent-elles être perçues comme rationnelles, si oui comme égoïstes ou au contraire altruistes, hasardeuses face à l'urgence ou objectives ? Peut-on sacrifier la vie d'un innocent si l'on en sauve 40 ? Mieux : la démocratie est-elle suffisamment armée et développée pour trancher une telle question ? Un cas particulier peut-il ne pas être jugé de la même manière que ce que la loi prévoit ? Si la réponse est oui, chaque cas peut-il devenir unique ? Ne peut-il pas y avoir jurisprudence pour chaque affaire de justice ? Nous avons le sentiment d'être là, impuissants devant une pelote de laine sans bout, un cul sans fondement, on se voit transformé en un instant en bourreau virtuel ou en seigneur tout-puissant, condamnant arbitrairement ou encourageant la barbarie, ce qui accentue le malaise. Qui sommes-nous pour juger ? D'ailleurs sommes-nous faits pour juger ? Pourtant VON SCHIRACH nous exhorte de le faire, en notre âme et conscience il nous prie d'exposer notre intime conviction, alors que la tête nous tourne et que l'on se sent prisonnier d'une véritable spirale, dans un labyrinthe sans aucune issue, la nausée au bord des lèvres car incapables de répondre objectivement à une seule des nombreuses questions, et que pour tout dire nous irions bien volontiers nous allonger pour oublier tout ça, comme par lâcheté, ou lassitude. Ou incompréhension, terrassés par cette pertinence sans répit. Une autre image peut être ce désert dans lequel on crève de soif à genoux devant une oasis empoisonnée. VON SCHIRACH joue avec nos nerfs (on pense bien sûr au test de MILGRAM pour le thème de l'obéissance à l'autorité) et pourtant chaque question qu'il soulève est fondamentale et déconstruit en permanence nos idées arrêtées, nos préjugés. Brillantissime et quelque part annihilant pour nos convictions théoriques. Je vous conseille de reprendre le Rubik's Cube, c'est bien moins éprouvant. En parlant de jeu, vous avez 100 fois plus de chances de gagner au Loto que de répondre avec certitude à une seule des questions soulevées par l'auteur. Pièce de théâtre (heureusement courte pour diminuer, du moins en temps, la torture, la culpabilité et l'impuissance) sortie en 2017 chez L'ARCHE qui nous propose sur le coup un jeu d'une cruauté absolue mais nécessaire. Personne n'en ressortira sans séquelles, telle est mon intime conviction. En annexe, un discours éclairé de l'auteur après la tragédie de CHARLIE HEBDO et les limites autorégulées de la liberté d'expression et de la satire. Éloquent et dérangeant. J'arrête là, j'ai le sentiment que rien que la chronique va nous rendre tou.te.s cinglé.e.s.


(Warren Bismuth)

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